A l’approche des élections départementales de mars 2015, l’ atelier du Front de Gauche a organisé, jeudi 15 janvier 2015, une belle soirée d’informations et d’échanges consacrée à la réforme territoriale.
Les objectifs : informer mais aussi susciter la plus large implication citoyenne possible.
Deux interventions sur le projet territorial ont été présentées par Christine Thomas-Bichon, conseillère municipale d’opposition de Beaumont et présidente de l’ADECR (Association des élus communiste et républicain) et François Ulrich (Parti de Gauche) dont vous retrouvez l’intervention ci-dessous :
« Cette réforme des collectivités territoriales est présentée comme l’acte 3 de la décentralisation. L’acte 1 avait été constitué par les lois Defferre de 1982 et l’acte 2 par la réforme Raffarin de 2004. Or cette nouvelle réforme a été préparée par le précédent gouvernement Fillon-Sarkozy et est poursuivie par l’actuel gouvernement Valls-Hollande avec des modifications marginales. Je voudrais rappeler les orientations générales des élites néolibérales concernant les collectivités locales qui ont imposé leur philosophie générale, tant dans les cercles dirigeants de la droite que dans une partie de la gauche.
Les trois étages qui ont constitué la France républicaine depuis 1789 jusqu’à nos jours sont clairement identifiés (nation, département, commune) et soumis à l’expression de la souveraineté populaire par le biais du suffrage universel direct.
Au niveau national l’élection du parlement au suffrage universel garantit que la Loi votée par le parlement est la même pour tous sur tout le territoire national, assurant le caractère unique et indivisible de la République, participant de l’exigence de l’égalité des citoyens face à elle.
A l’échelle territoriale, la République s’est toujours refusée à hiérarchiser les collectivités locales, aucune collectivité ne peut ainsi exercer une autorité tutélaire sur une autre. Elles se distinguent uniquement par le territoire couvert et par les compétences exercées.
La collectivité locale centrale de la République Française est la Commune. La libre administration des communes, inscrite dans notre droit fondamental actuel, est l’héritière du combat pour les libertés commencé dès le Moyen-âge par la revendication de la liberté communale.
L’autre institution locale héritée de la Révolution est le département avec l’élection au suffrage universel de son assemblée, le mal nommé Conseil général devenu Conseil Départemental.
Donc commune, département et parlement sont les trois piliers de ce que j’appelle l’axe démocratique de notre république, chacun étant issu du suffrage universel direct. Cela ne signifie pas que tout est parfait dans ce système institutionnel,mais ces institutions sont au fondement républicain de notre vie politique.
Or à ce triptyque républicain « nation-département-commune » s’oppose un autre modèle de gestion des territoires fondé sur le triptyque Europe-Région- Agglomération. Ces niveaux d’exercice du pouvoir se sont graduellement imposés dans les 50 dernières années : Pour l’Europe : transferts de compétence depuis 1957, Acte Unique en 86, Maastricht en 92 ; pour la région : Deferre en 82, communauté d’agglo : Chevènement en 99.
Ce triptyque repose sur un argumentaire rationaliste : l’espace européen serait plus efficace que l’espace national dans le cadre d’une mondialisation croissante, l’espace régional serait plus adapté à la compétition intra-européenne que le département trop petit ; quant aux 36000 communes françaises elles seraient une exception française archaïque inapte à traiter les enjeux des territoires et les communautés de communes, agglomérations et métropoles seraient plus adaptées à une gestion moderne du territoire. Cette rationalité bureaucratique est au cœur du discours moderniste partagé par les élites politiques au pouvoir depuis trente ans et qui défendent un nouveau modèle de gestion des territoires, ou, pour parler la novlangue néolibérale, un nouveau modèle de « gouvernance » territoriale.
Un modèle de compétitivité des territoires et de défiance du citoyen.
Ce modèle bureaucratique est fondé sur deux principes dominants :
Premier principe : la compétition territoriale. C’est l’importation dans le domaine des collectivités territoriales du principe économique dominant depuis le triomphe du capitalisme financiarisé et mondialisé, de l’offre compétitive. Sans développer cette notion ici, on peut la résumer par l’idée qu’il y a identité entre progrès et croissance économique, et que celle-ci ne passerait que par une amélioration de la compétitivité de l’offre.
Le but de la gestion d’un territoire consisterait donc à créer de l’attractivité pour les investissements en vu de créer emploi et prospérité. Ce discours propagandiste, vous pouvez le lire à longueur de colonnes dans les publications des journaux édités par les Régions et les Agglomérations ou Métropoles. Il faut baisser les impôts sur les entreprises (voire multiplier les zones franches et autres cadeaux de toute sorte), favoriser la mobilité et la formation de la main d’œuvre adaptée à ces entreprises arrivantes. Dans la compétition mondiale les grandes métropoles devront se livrer une guerre sans merci pour conquérir aux détriments des autres les activités porteuses. La conséquence en est naturellement l’appauvrissement et la désertification des autres territoires urbains ou ruraux éliminés de cette compétition. Dans certains pays centralisés comme la France ces territoires moins compétitifs ont pu bénéficier des mécanismes de redistribution de revenus et de services publics qui servent ainsi d’amortisseurs. Mais la baisse des dépenses publiques ne peut qu’affaiblir cette capacité de résistance ; ces territoires semblent dans cette logique voués à la paupérisation (comme le montre le chercheur Laurent Davezies dans son dernier ouvrage La crise qui vient) .
Deuxième principe : éliminer le « biais démocratique ». Je tire cette expression des penseurs néolibéraux notamment américains qui développent l’idée que la démocratie a un défaut (biais) majeur qui nuit à l’efficacité économique. Ce vieil argument réactionnaire – développé par Vilfredo Pareto, économiste très libéral du début du XXe siècle qui applaudit à l’arrivée de Mussolini – a été remis à la mode par les économistes libéraux contemporains (notamment l’école de Virginie). L’idée en est simple si ce n’est simpliste : en démocratie le peuple a intérêt à élire ceux qui leur promettent plus de pouvoir d’achat, plus de services et moins d’impôts ; la démocratie ne peut donc être pour ces auteurs que source d’inflation et de déficit public ! Ils en concluent qu’il faut sortir du champ démocratique toutes les décisions économiques notamment monétaires et budgétaires pour les soumettre soit à une macro-règle qui s’imposerait à tous, soit à une institution indépendante de la souveraineté populaire, voire aux deux en les combinant – comme on le voit avec les institutions de l’Union Européenne. Cela est désormais en train de se mettre en place à tous les échelons pour éloigner la gestion des institutions publiques des choix citoyens. Et c’est là que nous retrouvons notre moderne triptyque.
C’est au niveau européen que le « biais démocratique » a été le plus éliminé : la gouvernance européenne a récupéré directement ou indirectement la majorité des outils économiques que les nations membres lui ont transférés. Les institutions européennes, éloignées de tout réel contrôle démocratique, ont pris le pas sur les échelons nationaux légitimement élus.
La Région est le seul membre du triptyque qui soit le fruit d’une élection au suffrage universel direct. Peu à peu le poids de la région s’est consolidé face au département ; l’un des objectifs poursuivi par les réformes en cours (Sarkozy puis Hollande) est d’assurer définitivement la prééminence de la région. A la région le rôle stratégique de lutte économique dans la compétition mondiale (avec pouvoir réglementaire voire législatif : bonjour TAFTA!); au département la tâche de soulager socialement les dégâts de la mondialisation.
Enfin à l’échelle communale la montée en puissance des institutions de coopération intercommunale à fiscalité propre est patente : Communautés de commune, Agglomérations, Communauté Urbaine, Métropoles. Celles-ci récupèrent des compétences stratégiques : transports, déchets, eau, économie, aides à la pierre etc.… au détriment des communes. Or justement ces institutions de l’intercommunalité ne sont pas élues au suffrage universel direct mais composées de membres élus par les conseils municipaux ; ce caractère indirect de leur mode d’élection contribue à éloigner cette gestion du citoyen au profit de logiques purement gestionnaires et bureaucratiques. L’un des objectifs des réformes en cours est de faire disparaître définitivement l’autonomie communale. L’élection municipale, la plus mobilisatrice en France avec l’élection présidentielle, établit une relation démocratique forte entre une population et son maire y compris dans les grandes villes ; ce « biais démocratique » est manifestement trop gênant pour nos libéraux !
Je voudrais pour conclure, rappeler que le propre de la République est de servir l’intérêt général. L’efficacité économique fondée sur la rationalité instrumentale ne produit pas l’intérêt général, bien au contraire, tant les expertises sont soumises aux puissances des lobbys et des intérêts financiers.
Une vraie réforme des collectivités territoriales devrait au contraire de ce qui se fait actuellement être fondée sur les principes suivants:
1) Garantir l’unité et l’indivisibilité de la République en faisant de la loi nationale l’impératif qui garantit l’égalité de tous sur le même territoire ;
2) Donner la prééminence à une logique de coopération et de solidarité entre les territoires et entre les institutions locales ;
3) Soumettre toutes les autorités à la légitimité démocratique de la souveraineté populaire à travers le suffrage universel et le contrôle citoyen. »
François Ulrich