Le projet de Loi El Khomri constitue donc la dernière étape d’une véritable révolution du droit du travail, poursuivie par petites touches dans une succession de réformes.
Il s’agit de transformer un droit du travail reposant sur la Loi, un code regroupant un nombre important de règles diverses, par un droit formé de normes négociées dans les entreprises ou les branches d’activité entre partenaires sociaux.
Et tout a commencé en 2003 :
– La Loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques est venue autoriser « à titre expérimental » des accords de méthode dérogeant à certaines dispositions du code du travail en matière de consultation du comité d’entreprise dans une procédure de licenciement collectif pour un motif économique.
Puis le dispositif « expérimental » et limité à des cas très particuliers a été étendu.
C’est en 2004, qu’une mesure « technique » a inversé la hiérarchie des normes. Il s’agissait à l’époque de donner la priorité à l’accord d’entreprises sur l’accord de branche. Désormais, dans certains domaines, dont la durée du travail. Il suffit de lire l’agit de l’article 42 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, disposition perdue au milieu de nombreuses autres pour constater que là se place le premier jalon important d’une démarche dont le projet de Loi El Khomri est l’aboutissement.
Avec une rare et étonnante constance, malgré les alternances, les réformes successives du droit du travail vont chacune avancer dans le chemin ouvert en 2003 vers une « conventionnalisation » du droit du travail. Nous citerons notamment :
- La Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (qui dans son article 62 rend possible par accord de branche de déroger aux règles du licenciement économique pour des contrats particuliers de mission à l’export)
- La Loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise (qui permet par accord de déroger à certaines règles sur la durée du travail, dont le contingent annuel d’heures supplémentaires)
- La Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (qui prévoit l’obligation de négocier un accord cadre pour encadrer le droit de grève dans les entreprises de transport)
- La recodification du code du travail en 2008 ;
- La Loi n° 2008-351 du 16 avril 2008 relative à la journée de solidarité
- La Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail
- La Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
- La Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (avec les accords de maintien dans l’emploi et les indemnités forfaitaires lors d’une conciliation devant le conseil de prud’hommes)
- La loi n°2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale (qui sans avancer à modifié le cadre juridique des organisations syndicales et leur financement)
Ce mouvement s’est accéléré avec les Lois parues au cours de l’été 2015, à savoir :
- La Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « Loi Macron » qui comporte des possibilités de dérogation par accord aux dispositions légales
- La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi dite « Loi Rebsamen » qui créé des possibilités de dérogation par accord collectif d’entreprise ou de branche à des dispositions relatives au fonctionnement des Instances représentatives du personnel
On constate donc que le mouvement vers la « conventionnalisation » complète du droit du travail, entamé depuis 2003 s’est brutalement précipité depuis 2014. Et alors que le Président de la République s’était engagé en septembre 2015 à achever cette réforme de manière prudente et sans précipitation, le gouvernement n’aura pas attendu 6 mois pour présenter son projet de loi, qui achève la transformation du droit commencée il y a 13 ans.
En réalité, la situation actuelle présente une complexité et une instabilité qui rendent indispensables une nouvelle réforme : les exceptions et dérogations successives à la Loi, qui se sont superposées au gré de ces réformes désordonnées et incomplètes (parfois même incohérentes), rendent la situation intenable d’un strict point de vue technique.
Extraits de l’article de Cédric Mas sur le blog de Paul Jorion