« Il a fallu qu’un conflit éclate pour que la directive réfugiés soit appliquée… » (ndlr :
Militante des droits de l’homme, Marie-Christine Vergiat
Créée en 2001, cette contrainte législative doit aussi s’appliquer pour tous les migrants, quelle que soit leur nationalité.
Publié le Mardi 8 Mars 2022Charlotte Recoquillon
« Mais au fond quelle différence y a-t-il entre le bon et le mauvais migrant ? – Ah j’ l’attendais celle-là ! J’l’attendais… Non mais, le mauvais migrant ? Bon, bah, c’est le gars y fuit une guerre, y voit un pays qui est pas en guerre, y rentre… – Et le bon migrant ? – Le bon migrant ? C’est un gars, y fuit une guerre, y voit un pays qui est pas en guerre, y rentre… mais… – C’est pas la même cho se ! Y a le bon migrant, et y a le mauvais migrant… Y a celui qui nous ressemble, et y a celui qui, tu vois… – Bon, y faut expliquer. Tu vois, y a le mauvais migrant : y voit un pays pas en guerre : y rentre. Le bon migrant : y voit un pays pas en guerre : y rentre… mais c’est un bon migrant ! – Voilà ! C’est ça ! On ne peut pas les confondre… »
Si ce dialogue – à lire avec la voix des Inconnus – est fictif, le bégaiement argumentatif ne l’est pas. Journalistes et éditorialistes ont « pesé leurs mots » et simplement rappelé « la loi de proximité » quand ils ont justifié notre devoir d’accueil par l’origine des réfugiés. « On voit bien ce qu’ils fuient, la nature des réfugiés est incontestable » ; « on est dans une ville européenne, et on a des tirs de missiles de croisière comme si on était en Irak ou en Afghanistan, vous imaginez ! » ; « c’est une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit » ; « ce sont des Européens de culture », nous a-t-on ainsi répété.
Mais ces mots n’ont pas été mal choisis. Au contraire, ils reflètent précisément l’ordre racial et les rapports de domination à l’œuvre dans nos sociétés postcoloniales, et dont les médias sont un instrument. Ils dessinent les contours entre « nous » et « l’autre », assument une logique comptable de l’émotion, distribuent l’humanité, hiérarchisent les vies. C’est la définition précise du racisme. Les médias maintiennent l’ordre raciste sur le plan moral, et la police contrôle les corps.
Aux bons migrants ukrainiens, qui ont les mêmes voitures que nous, nous garantissons l’accueil et la protection. D’ailleurs, eux, ce sont des « réfugiés ». Ils ne sont pas soupçonnés de venir « profiter » de notre système social ou de nourrir le projet de « remplacer » notre civilisation. Pour eux, l’Union européenne vient d’activer, pour la première fois, une clause de protection temporaire. Aux mauvais migrants, ceux qui fuient la Libye, la Somalie, l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie – et sur qui Poutine a testé ses armes de guerre depuis des années dans l’indifférence générale –, nous lacérons les tentes, nous faisons des tests osseux, nous rechignons à accorder l’asile.
Finalement, ce traitement médiatique de l’actualité en dit moins sur la guerre russe en Ukraine que sur nous.
