Mathilde Panot : « Les forêts ne sont pas qu’un gisement de bois destiné à l’industrie »

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Vendredi, 5 Juin, 2020

Mathilde Panot, députée FI et présidente de la commission d’enquête citoyenne et parlementaire « Forêts, biens communs », déposera, début juillet, une proposition de loi-cadre visant un changement de modèle de gestion forestière. Entretien.

Dans la forêt du Morvan, au cœur de la région Bourgogne – Franche-Comté, de grandes affiches vont se déployer à partir de ce vendredi 5 juin pour dire stop aux « coupes rases ». C’est ce massif de basses montagnes qu’ont choisi les associations SOS Forêt France et Canopée-Forets vivantes pour lancer une campagne nationale visant à interdire cette technique consistant à abattre l’intégralité des arbres d’une même parcelle, symptôme d’une industrialisation croissante de la forêt. La députée du Val-de-Marne, Mathilde Panot (FI), présidente de la commission d’enquête citoyenne et parlementaire « Forêts, bien communs », doit déposer une proposition de loi-cadre, début juillet, qui vise un autre modèle pour sauvegarder la biodiversité de ces lieux, sans pour autant mettre la forêt sous cloche. Entretien.

Depuis bientôt un an que vous êtes à la tête de la commission « Forêts, bien communs », vous vous penchez sur le sort des forêts. Qu’avez-vous observé ?

Mathilde Panot Les forêts sont à un carrefour, un peu à l’image de l’agriculture dans les années 1950-1960. On assiste à une industrialisation rampante : les exemples les plus emblématiques en sont le Morvan ou le plateau de Millevaches. Cette industrialisation repose sur un triptyque : monoculture – généralement des pins Douglas –, coupes rases et plantations. On entend souvent que la superficie des forêts augmente… les surfaces où des arbres sont plantés augmentent. Mais une plantation d’arbres n’est pas une forêt.

Ce modèle maltraite à la fois l’écologie, les hommes et les femmes. Les agents de l’Office national des forêts sont de plus en plus vus comme de simples « coupeurs de bois » et se trouvent dans une vraie souffrance. Dans le cas de l’agriculture, il n’y a pas eu de choix démocratique. Sur les forêts, on peut encore en faire un !

La commission d’enquête citoyenne et parlementaire vise à alerter et soutenir les mobilisations citoyenne qui, partout en France, se battent. À montrer aussi qu’il y a d’autres types de sylviculture. On ne peut pas laisser des multinationales décider. Pour rappel, dans le bois énergie, le premier investisseur dans les usines de pellets (granulés – NDLR) n’est autre que Total. Les citoyens doivent pouvoir décider collectivement de l’avenir des forêts.

Plusieurs propositions de loi sont issues de cette commission. Qu’avancent-elles ?

Mathilde Panot Une première proposition, qui sera déposée le 10 juin, préconise d’interdire les coupes rases au-delà de 2 hectares de surface, sauf pour raison sanitaire avérée. La France est très en retard sur cette question. La Suisse les a interdites en 1976. En Allemagne, tous les Länder ont adopté des législations restrictives. L’Autriche aussi a pris une législation les prohibant.

Une autre proposition de loi-cadre, cette fois, sera déposée début juillet. Parmi les points développés figurent la nécessité d’un service public forestier, mais aussi l’importance de la diversité des essences forestières. La France en compte 136. Historiquement, on a toujours eu des forêts diversifiées. Elles sont intéressantes, parce que plus résilientes au changement climatique, aux incendies, aux maladies… Ce texte fera aussi un ensemble de propositions sur l’écosystème – les forêts ne sont pas qu’un gisement de bois. Il s’intéressera par ailleurs à la transformation et aux petites scieries. Cette proposition de loi avance un cadre nouveau, un modèle à l’opposé de ce que portent les multinationales.

Les industriels du bois rétorquent que les associations veulent mettre « les forêts sous cloche »…

Mathilde Panot Il n’en est pas question. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas prélever du bois. Mais d’autres types de sylviculture existent et, économiquement, elles sont tout aussi intéressantes. Les coupes rases opérées sont un non-sens : à chaque fois, 30 % du carbone retenu dans le sol sont libérés.

La question n’est pas de maintenir la forêt sous cloche, mais de laisser vieillir les forêts, en prélevant du bois de manière raisonnable et pour des usages qui ont du sens. Aujourd’hui, de très beaux arbres finissent en pellets, alors qu’ils devraient servir à faire des charpentes… L’industrie est en train d’adapter la forêt à ses besoins.

Nous ne sommes pas les défenseurs d’une forêt sous cloche. Mais si l’on continue sur ce modèle court-termiste, on va se retrouver dans quelques dizaines d’années avec des sols qui ne pourront plus se régénérer.

Entretien réalisé par Pia de Quatrebarbes

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