Le parti de Gauche présente un argumentaire contre « la déchéance de nationalité »
Le gouvernement souhaite, début 2016, faire voter une modification de la Constitution. Celle-ci inclut une mesure qui focalise le débat de par sa gravité : la déchéance de la nationalité pour les citoyens binationaux qui se seraient rendus coupables d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ce qui inclut le terrorisme. Ces mesures sont à la fois inefficaces, contraires à l’esprit de la République, et conduisent la stigmatisation des binationaux en alimentant le débat autour de thèmes identitaires.
C’est une rupture fondamentale avec l’histoire de notre pays, créant ainsi de fait deux catégories de citoyens devant la loi.
Une idée venue de l’extrême-droite
Les premiers à se réjouir de la proposition gouvernementale d’étendre la déchéance de la nationalité ont été les dirigeants du Front National ! Ainsi, Florian Philippot s’est non seulement « réjoui de la réhabilitation de la déchéance de nationalité, (…) idée portée depuis très longtemps par le Front national » mais a aussitôt souhaité « une extension de la déchéance de nationalité pour tous les crimes graves », dont « les crimes de sang »
Pour l’extrême-droite, c’est une occasion rêvée de défendre sa conception identitaire de la nationalité, centrée sur le droit du sang et le rejet de l’autre. Ce n’est pas un hasard si une telle mesure est restée dans les mémoires comme caractéristique du régime de Vichy ! La République, au contraire, s’est construite depuis la Révolution française sur une conception ouverte de la citoyenneté, basée sur le droit du sol : est automatiquement Français-e celui ou celle qui est né(e) en France. Le repli sur soi et la haine de l’autre, la suspicion généralisée, incarnés par des propositions comme la déchéance de nationalité sont exactement ce que recherchent les terroristes.
En reprenant cette idée, le gouvernement valide la bataille culturelle de l’extrême-droite.
Il tire des très hauts résultats du FN la conclusion qu’il faut aller toujours plus chasser sur ses terres et capter son électorat. En agissant ainsi, il rend leurs idées légitimes. Pourtant, c’est le constat inverse qu’il faut faire : c’est la politique de droite du gouvernement, parce qu’elle est en continuité avec celle du gouvernement précédent et ne combat pas les exigences de Bruxelles, qui désespère le peuple, nourrissant l’abstention. C’est la reprise de thèses d’extrême-droite qui dédiabolise et fait le terreau du FN.
Une rupture de l’égalité républicaine
La révision prévue inscrirait dans la Constitution, pour un même délit commis, une peine différente pour les binationaux et les autres Français. Cela signifie qu’il y aurait dorénavant deux catégories de Français, les binationaux et les autres ! C’est une atteinte fondamentale aux principes fondateurs de la République : en République, le peuple est un et indivisible, et la loi s’applique à toutes et tous sans distinction.
Il n’est pas non plus souhaitable de créer des apatrides, c’est-à-dire des êtres humains qui, dans le cadre juridique mondial actuel, n’auraient aucun droit : rendre des gens apatrides est d’ailleurs interdit par nombre de conventions internationales et par l’ONU. Ainsi, cette mesure ne peut pas s’appliquer aux personnes ayant seulement la nationalité française.
Cette mesure instaurerait également une suspicion à l’encontre des citoyens binationaux, qui apparaîtraient plus susceptibles que les autres de commettre des horreurs terroristes. C’est donc une idée faite pour diviser les Français. De plus, on ne choisit pas toujours d’être binational : certains pays, comme par exemple le Maroc, attribuent d’office leur nationalité à tout enfant dont le père au moins a cette nationalité. Ainsi, tout enfant dont le père a la nationalité marocaine, l’aura également, en plus de son autre nationalité. On peut ainsi être binational tout en étant né Français, et en n’ayant aucune attache dans le pays dont on a la double nationalité !
Une mesure inutile et inapplicable
En plus d’être contraire à la République, cette mesure n’aura aucune efficacité contre le terrorisme. Une personne déterminée à commettre un attentat, à tuer des civils Français ne sera pas dissuadée par la menace de perdre la nationalité française ! De plus, il vaut mieux faire purger leur peine et surveiller les personnes ayant projeté un attentat, que les expulser et perdre leur trace. D’autant que, si l’on expulse ces personnes, on est face à une alternative catastrophique et pourvoyeuse de terrorisme : on doit choisir entre soit expulser les individus en question vers des pays démocratiques (donc leur permettre éventuellement de revenir ??!), soit les expulser vers des pays sans État de droit (Syrie…) dans lesquels ils seraient en contact d’autant plus facile avec des groupes terroristes, ou alors risquant de fait, la peine de mort. Cette mesure est, par ailleurs, inapplicable : l’État ne sait pas forcément qui est binational. Un autre pays n’est pas obligé de le dire, et des individus acquièrent une seconde nationalité sans forcément devoir le déclarer.
Une mesure dangereuse et porteuse de dérives
L’inscription dans la constitution d’une telle mesure pourrait conduire à de très graves dérives. D’abord, parce qu’en remettant en cause des principes essentiels, elle enfonce un coin dans les principes républicains qui risque d’être élargie : si la déchéance de nationalité est possible pour faits de terrorisme, il est alors aisé, à petits pas, de l’étendre pour d’autre délits, et de banaliser cette mesure. Et on imagine bien quelle utilisation pourrait être faite de cette mesure par un gouvernement de type autoritaire ou fascisant, s’il en venait un au pouvoir.
Enfin, son extension, dans le texte actuel, est très floue. D’abord parce que la définition juridique du terrorisme est assez vague, et peut s’appliquer y compris à des atteintes aux biens. Et aussi parce que, seront visés par la déchéance non pas seulement les personnes ayant commis ou prévu un attentat terroriste, mais plus largement les personnes coupables “de crimes en matière de terrorisme et, éventuellement, des crimes les plus graves en matière d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation”. Le débat parlementaire va définir quelle est l’extension exacte de ces crimes visés, mais la définition jusqu’ici admise de l’”atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation” inclut par exemple la participation à un mouvement insurrectionnel ou la fabrication de barricades.
Ainsi, les militants écologistes qui se mobilisent contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou contre le barrage de Sievens pourraient potentiellement être concernés par cette mesure. Quand on sait que, dans le cadre de l’Etat d’urgence, des personnes en charge de l’organisation de manifestations pendant la COP 21 ont été assignées à résidence, et des maraîchers de Dordogne, dangereux cultivateurs de carottes bio’, ont été perquisitionnés, cela donne une idée très inquiétante des conséquences possibles de l’extension de la déchéance de nationalité, telle que prévue par le projet.
Au contraire, pour lutter contre le terrorisme et préserver notre sûreté, ce qu’il faut, ce n’est pas une énième modification de l’arsenal législatif, mais le déploiement de moyens matériels et humains, qui manquent cruellement depuis des années : ainsi, Sarkozy a supprimé 12.000 postes de policiers et gendarmes entre 2007 et 2012, qui n’ont pas été rétablis par Hollande depuis lors.
De la même manière, le juge Marc Trévidic, spécialisé dans l’anti-terrorisme, fait état d’un cruel manque de moyens matériels et humains pour le renseignement, la justice, la police.
Le même Marc Trévidic a souligné que la déchéance de la nationalité serait selon lui à la fois inefficace contre le terrorisme, et inapplicable dans les faits. Elle pose en effet de nombreux problèmes : que ferons-nous si d’autres pays appliquent cette même mesure, et renvoient en France leurs binationaux ? Comment expulser un individu qui a toujours vécu en France ? Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu’un né chez nous ?
En réalité, une telle mesure créera beaucoup de problèmes, pour une inefficacité totale en matière de sûreté, rappelons que parmi les terroristes du 13 novembre, seuls 2 étaient binationaux. Plus largement, les profils des personnes qui projettent des actes terroristes ne sont pas majoritairement des personnes ayant un lien fort avec un autre pays. Il n’y a donc pas de lien entre binationalité et terrorisme.
C’est donc un projet à la fois anti-républicain, porteur de dérives inquiétantes, et totalement inefficace dans la lutte contre le terrorisme ! Les Parlementaires doivent se prononcer contre une telle révision de la Constitution. Mobilisons et expliquons, partout autour de nous, pour mettre en échec ce projet !
Jeudi 21 Janvier 2016