Ouvrons le débat sur « le jour d’après, c’est maintenant » (1) : le bel avenir de l’État social.

Un virus, une pandémie, ont des causes systémiques. Elles tiennent pour partie à des raisons d’organisation économique du monde. Les grandes épidémies du moyen âge suivaient déjà les routes commerciales. La cupidité de quelques marchands ayant corrompu les officiers de quarantaine fait déferler le choléra sur Marseille en 1720.

Une crise du capitalocène

Aujourd’hui les causes de cette pandémie sont, avant même qu’elle n’atteigne son pic, déjà bien recensées :

  • Une accélération des transports qui la diffuse presque instantanément, des conditions de mondialisation qui ont rendu les sociétés plus interdépendantes.
  • La contradiction capitaliste, nous disait déjà Marx, tient au fait qu’il y a déjà socialisation de la production mais privatisation des bénéfices. Nous y sommes plus que jamais. Le grand déménagement du monde accroît la dépendance des peuples, tandis que les profits se concentrent dans une part de plus en plus restreinte d’oligarques qui ont seuls les moyens d’échapper aux dangers de leur modèle.

Les choix économiques de la mondialisation heureuse se heurtent au principe de réalité :

  • délocaliser les industries médicamenteuses, la production de masques aux quatre coins du monde rend impossible une réponse en cas de crise globale. La CGT propose la nationalisation de Luxfer à Clermont-Ferrand, usine qui, avant sa fermeture, était la seule en Europe à fabriquer des bouteilles à oxygène médical, et pourrait permettre de créer des stocks et de fournir non seulement la France , mais toute l’Europe. Une usine bretonne de fabrication de masques chirurgicaux a été délocalisée en Tunisie : la pénurie frappe donc la France au pire moment.
  • l’autre cause tient à l’affaiblissement de la biodiversité. Aujourd’hui 60% des maladies infectieuses viennent d’une transmission de l’animal à l’homme. L’extension de l’agriculture rend plus fréquent les contacts entre espèces domestiques et espèces sauvages et par là ensuite le contact avec les humains. La multiplication des pesticides et antibiotiques perturbe la réponse naturelle. Ainsi en Inde les vautours qui faisaient œuvre de charognards sont morts par millions, remplacés par des rats et chiens errants vecteurs de la rage. Nous sommes aujourd’hui rattrapé.e.s par l’affaiblissement de l’écosystème que le capitalisme a accéléré.

L’État social (1), seule solution à la crise mondiale

L’organisation économique du monde rend les sociétés plus interdépendantes les unes des autres mais aussi plus sensibles aux perturbations de l’équilibre complexe. A nous d’agir pour que la crise passée, nous n’ayons pas droit à un retour immédiat des mantras de l’économie mondialisée : « croissance », « ouverture », « circulation », « dérégulation » au prétexte de relancer l’économie. Il s’agit de promouvoir une transition écologique, prenant en compte les réalités environnementales et sociales.

C’est l’Etat social qui permet aujourd’hui aux services publics de fonctionner. C’est lui que nous devons conserver en nous battant pour la solidarité et pour préserver nos droits. Il est nécessaire d’adopter une politique d’investissement logique et stratégique pour les hôpitaux et dans la recherche, de les doter de moyens pour réagir aux crises en embauchant, en augmentant les salaires et pas uniquement au moment où ils s’y trouvent confrontés mais aussi de leur redonner les moyens démocratiques d’organisation interne.

Face au grand déménagement du monde, absurde écologiquement et dangereux en période de crises, la relocalisation est la seule solution d’avenir. La multiplication des circuits courts permet de baisser la charge environnementale et des reconversions économiques propres à donner de l’emploi à toutes et tous sur des bassins de vie à taille plus humaine. Ce faisant un pôle public fort doit être réinvesti massivement. Il faut sauver de fond en comble le secteur hospitalier qui aura besoin d’autre chose que des commentaires émus du gouvernement sur les applaudissements. Les salarié.e.s, les collectifs des urgentistes ont déjà les solutions. Ils et elles l’expriment depuis des mois dans leurs mobilisations, il ne s’agit plus que de leur donner les moyens de leurs métiers.

Lucien Sève, décédé il y a quelques jours, écrivait dans le premier tome de son œuvre majeure Penser avec Marx aujourd’hui : « je suis moralement responsable de tout ce sur quoi je peux agir – de tout cela, mais de rien d’autre »

François Ulrich

  1. L’État social ne se réduit pas à la seule protection sociale. Il comprend trois autres piliers : les services publics, le droit du travail et les politiques économiques (budgétaire, monétaire, industrielle, commerciale, etc.) de soutien à l’activité et à l’emploi.

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.