« Unis, nous pouvons! » Une coalition qui peut changer la donne en Espagne

Depuis qu’à la suite des élections du 20 décembre dernier aucun parti n’a réussi à former un gouvernement, Podemos a créé une alliance électorale avec Izquierda Unida pour les élections du 26 juin. Les derniers sondages donnent à Unidos Podemos 24,4%, les plaçant ainsi juste derrière le PP, qui est en tête avec 29,8% des intentions de vote. Le PSOE se trouve à 20,4% et Ciudadanos est à moins de 15 %.

Esquerda.net a rencontré Manuel Garí, économiste de Podemos et membre du conseil de rédaction de Viento Sur, à propos de l’accord avec Izquierda Unida et des élections. [12 juin 2016, Esquerda.net]

Comment en est-on arrivé à l’accord entre Podemos et Izquierda Unida ?

Suite à l’échec électoral : l’unité électorale n’avait pas été possible le 20 décembre entre Izquierda Unida et Podemos. Un groupe de personnes, artistes, universitaires, etc. ont publié un manifeste exigeant l’unité électorale entre les deux organisations.

Je ne dis pas que ce manifeste a été la cause, mais il a été le détonateur d’un processus de rapprochement et de discussions entre les deux organisations. En partie par nécessité, en partie parce qu’il y avait une très grande partie de l’électorat et des militants des deux organisations qui a exigé qu’elles se mettent d’accord, parce que sans cela il était impossible d’arriver à la hauteur du Partido Popular (PP). Parce que l’objectif n’est pas de dépasser le Parti Socialiste (PSOE), c’est de dépasser le PP.

Cela a créé un climat favorable à des discussions au cours desquelles il y a eu un débat programmatique et un débat sur le poids de chaque organisation dans les listes de candidatures. Comme toujours, cette question est très controversée, mais je pense qu’on est arrivé à une formule dans laquelle Izquierda Unida aura, en tant que force minoritaire, une reconnaissance suffisante tant au Parlement qu’au Sénat, grâce aux places qu’elle occupe dans chaque liste.

D’un autre côté, Podemos reconnaît Izquierda Unida comme une force nécessaire et a fait aussi, à mon avis, son autocritique en ce qui concerne les positions qu’elle avait prises auparavant à l’égard d’Izquierda Unida.

Le résultat, en termes d’opinion publique, est que les deux formations politiques vont grandir et obtiendront toutes deux un plus grand nombre d’élus.

À l’heure actuelle, le dernier sondage donne à Unidos Podemos ou Unidas Podemos (il y a une campagne importante pour qu’on utilise aussi le nom d’Unidas Podemos, au féminin) une avance suffisante pour qu’on ait plus d’élus, probablement plus que le PSOE et presque autant que le PP.

Quels sont les principaux points du programme électoral ?

Le nouveau programme est le dénominateur commun auquel sont parvenues les deux organisations, c’est ce qu’on a réussi à atteindre en très peu de jours. Il a fallu présenter vite les listes et il y a 52 circonscriptions électorales, multipliées par deux élections (une pour le parlement, l’autre pour le sénat), le débat dans chacune des formations a été très compliqué. Le programme sur lequel elles sont tombées d’accord est un programme qui a évité les conflits, en d’autres termes il y a des problèmes, au-delà de ses qualités, et je vais en signaler quelques-uns. Par exemple, c’est un programme suffisamment féministe et suffisamment écologiste, même s’il aurait pu être amélioré dans chacun de ses domaines.

Concernant l’Union Européenne, il est vrai qu’il exprime un mécontentement vis-à-vis de son modèle de fonctionnement et de l’€uro, mais il développe très peu ce que seraient les alternatives, autant en ce qui concerne l’€uro qu’un autre modèle de construction de l’Union Européenne. Il est critique et peu constructif, je dirais, sur ce terrain-là. Et les rares propositions qu’il fait sont très générales, du genre « une conférence qui pose le problème de la dette », « une conférence qui pose le problème du déficit ou du pacte de stabilité », mais que défendra la conférence ? On suppose, bien sûr, qu’elle défendra une posture moins austéritaire.

Le problème le plus important, à mon avis, est qu’il pose mal le problème de la dette. On ne propose pas sérieusement un modèle de restructuration concret. Il parle de la dette, il parle de restructuration, mais il en parle peu, trop succinctement. C’est ce qui va être le nœud gordien immédiat, à peine le gouvernement formé, qu’il s’agisse d’un gouvernement de gauche ou d’un gouvernement de « grande alliance » (PSOE avec le PP). S’il y a un gouvernement de « grande alliance », pourquoi nous devrons développer une politique systématique d’opposition. S’il y a un gouvernement de gauche, pourquoi ce sera sa première ligne d’attaque.

Le programme de Unidos Podemos est plus centré sur la question du déficit, tablant en partie, comme nous l’avons vu chez Varoufakis et chez Tsipras, sur le fait que de bons négociateurs puissent retarder les délais de paiement et se mettre à jour en termes de déficit budgétaire. Mais la question n’est pas un problème de bonne négociation, c’est un problème de mesures à prendre en cas d’agressions de la troïka et, en particulier, de la part de la Banque Centrale et de la Commission Européenne. Ce Plan B n’est pas clair dans le programme et je crois que c’est un de ses talons d’Achille.

Pour finir, le programme social, sur le logement, sur le besoin d’un nouveau modèle de relations de travail, l’augmentation des salaires, etc. est correct. On peut penser qu’il manque des choses ou qu’il y en a d’inutiles, mais dans l’ensemble il est bon.

Les sondages indiquent qu’ Unidos Podemos l’emporterait sur le PSOE, dans un scénario où il n’y aurait pas de majorité absolue, mais que la victoire serait au PP. Si tel était le cas, quelle sera l’attitude de Unidos Podemos et du PSOE ?

La première grande question est que dans ces sondages le niveau d’abstention très grand. Tous les spécialistes disent que l’abstention sanctionnera fondamentalement la gauche, la loyauté des électeurs de droite est plus grande pour ce vote du 26 juin.

Une des premières tâches, je pense que c’est de mobiliser l’électorat, mais pour ce faire, il lui faut de nouvelles motivations, de nouveaux espoirs par rapport à ce qu’on lui a offert le 20 novembre [les dernières élections législatives, du 20 décembre 2015, au terme desquelles aucun parti n’a pu former de gouvernement]. Et je pense que c’est cela, l’objectif fondamental de campagne, que les gens ne voient pas Unidas Podemos comme toujours les mêmes, avec les mêmes têtes et les mêmes propositions. Il faut trouver deux ou trois sujets qui intéressent, qui mobilisent.

La seconde question est à mon avis la plus importante, c’est que le mouvement social est dans l’expectative. Il y a une espèce d’attentisme électoral, dans l’attente de ce qui va se passer. Évidemment, cela ne favorise pas la gauche et ne favorise pas Unidas Podemos, parce que cette alliance se nourrit des mobilisations, elle en est la fille et le produit.

Au cas où Unidas Podemos formerait un gouvernement, ou essaierait de le faire, je crois que le PSOE aura un gros problème. Le PSOE est en crise depuis longtemps, il est faible, avec beaucoup de différences internes, ses bases électorales tendent à fuir en direction de Podemos de plus en plus, et il n’a guère de base parmi l’électorat jeune. Son électorat consiste pour l’essentiel en des électeurs âgés, qui sont nombreux parce que le pays a beaucoup vieilli, c’est vraiment un des pires moments que j’ai vus pour le PSOE, mais le parti n’est pas mort.

Il y a un attachement du PSOE au régime de 78, à la Constitution de 78, qui fait dépendre l’intérêt de l’État du maintien du status quo, et je ne parle même pas du système capitaliste. De plus, sa conception de l’Union Européenne est très différente de celle de Podemos, et, en dépit de toutes ses ambiguïtés, de celle de l’alliance Unidas Podemos, et très proche en revanche, malgré tout, de celle du PP. En d’autres termes, le PSOE est d’accord avec le PP, sur le pacte de stabilité, Maastricht etc. Il peut avoir une vision plus sociale, mais il n’a rien fait non plus pour empêcher la politique antihumanitaire en matière d’immigration, ou de réfugiés. Nous sommes face à un PSOE qui a plus en commun, en termes de programme, avec la droite, bien qu’il partage des bases sociales et électorales communes avec Unidas Podemos.

Le plus probable est qu’il y aura une pression très forte de la part des grandes multinationales et des entreprises espagnoles, du grand capital des grands medias, qui d’ailleurs ont déjà commencé leur campagne en faveur d’une grande alliance. Je préfère ne pas parier qu’il y aura une grande alliance parce que ce serait renoncer à la bataille, mais le risque est bien là et il faut le dire clairement.

L’alternative est compliquée, mais je crois que Unidas Podemos doit se présenter comme candidat à la direction du gouvernement. Il doit avoir, face au peuple espagnol, l’arrogance ou le courage de dire : « oui, nous voulons gouverner, nous pouvons gouverner, nous allons le faire autrement et nous allons affronter tous les risques que cela comporte. »

Publié sur le site du Bloco de Esquerda. Traduction Jean José Mesguen.

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